l:^.^.C?i i^'^'C-. J-*»*^?
î>"^ J- ^^ .?.
■"^^7
-<^.^' -,
'^
-.M-
^^^■^ i^^
i^:-4
1 r* ^ ^ xVi.
^^^■.«!S«^
'r^^-'-^
y^u^'
NOTICE SUR LA VTE
M. DUFRICHE DES GENETTES
PrBLICATIOXS DE L'AKCHICOyFRÉBIE :
iManucI d'Instructions et de Prières, à l'usage des Mem- bres de 1 Arcllicoufrérie du T. -S. et Imm. Cœur de Marie, suivi d'une Histoire de l'Arcliiconfrérie. Ouvrage publié par M. l'abbé Dufriche des Gexettes. 17^ éditiou. 1 fort vol. grand in-18. 2 fr.
Annales de l'Archiconfrérie (neuf buUelius ont été publiés), par le même. Prix de chaque bulletin : 73 c.
Ouide des Associés à l'Archiconfrérie; contenant les Of- fices propres à l'Archiconfrérie, les Vêpres du dimanche; suivi de Cantiques: publié par M. l'abbé Ql'êtier. 4« édition. 1 vol. in-32. ■ 60 c.
Office complet de lArchiconfrérie, mis en chant nouveau par A. Leclercq. 2^ édition, in- 12. 1 fr.
Histoire religieuse de l'Église iV.-B.-des-Victoires et de l'Ar- chiconfrérie, par M. l'abbé Balthasar. 1 vol in-12 orné dune trcs-belîe gravure sur acier représentant le Chapelle de l'Archiconfrérie. 2 fr.
Fête du Couronneiuent de l'Image de la T. -S. Tiergt»,
relation faite par JI. H. DE Riaxcey. In-S». CO c.
Discours prononcé à la même fête par le R. P. Corail., S.-J. In-8'. 60 c.
Chants complets de l'Archiconfrérie, Vêpres, Saints et Cantiques chantés à l'Office du soir, recueillis et mis en mu- sique par M. AXDRÉ, avec accompagnement d'orgue ou de piano, par M. Burelle, organiste de la même église. 1vol. grand in-8». Net. 3 fr. 50
Billet d'adutission dans l'Archiconfrérie. In-18 de 4 p. Le cent : 2 fr. 50
Tableau d'agrégation à rArchiconfréric. In-plano. 60 c. Ce tableau est conforme aux lettres irafliliation délivrées à tous les di- recteurs des Confréries agrégées à l'Archiconfrérie; il est disposé sur trois colonnes pour être encadré et placé dans toutes les chapelles dédiées au salut Cœur de Marie.
Gravure représentant exactement la Chapelle de l'Archi- confrérie. Cette gravure a 5;) centimètres de hauteur sur 40 de largeur. Prix : 2 fr.
IVouvelle gravure. Cette gravure se distingue par la finesse et la perfection de l'ensemble. Sur 1/4 grand colombier, papier de Chine. Prix Sur 1/4 Jésus, do —
— papier blanc. — Sur 1/16 Jésus, papier de Chine. —
— papier blanc. —
Ifr. |
50 |
1 |
» |
» |
75 |
)) |
30 |
» |
20 |
\ V.
M . DlJl'RICHF, DES GENl-'.TÏES. Curé de N.D.des Victoires,
l'ondaleur elDirecteur de rArchiconfrérie du S.ell. Cœur de Marie
^/y. '^^^tfc'L^cT^éz::^
NOTICE SUR LA VIE
M. DUFRICHE DES GENETTES
CURÉ
DE NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES
Fondateur et Directeur
de l'Archifonfrérie du très-saint et immaculé
Cfpur (le Marie.
E.-A. DE VALETTE
Chan. hon. de Digne, ancien Sous-Directeur de i'Arcliiconfrérie, !"■ aunK')nier du Lycée Napoléon,
PARIS
AMBROISE BRAY, LIRRAIRE-ÉDITET'R
6C, KCE DES SAINTS-Pi^:RES, CC,
(Droits de rei>rodiiiHion et de traduction réservés.)
ISGO
DÉDIÉE
AîiX
MEMBRES DE L'ARGHICONFRÉRIE
NOTRE-DAMÉ-DES-VICTOIRES
Au moment où TArchiconfrérie du très- saint et immaculé Cœur de Marie vient de perdre son fondateur, nous croyons prévenir les voeux des Associés en leur offrant cette no- tice sur la vie du vénérable prêtre que nous regrettons.
Honoré depuis plus de trente-deux ans de la confiance et de Tamitié de M. des Genettes, témoin assidu de sa vie privée, assistant à ses œuvres extérieures, nous avons pu, autant que personne, apprécier ses hautes vertus sa- cerdotales. Dans les épanchements de son af- fection paternelle, il se plaisait à revenir sur les années de sa jeunesse, et, recueillant avec avidité ses récits, nous les conservions avec un soin respectueux. Nos rapports avec plusieurs
membres de sa famille et avec quelques -mis de ses contemporains nous ont permis de com- bler des lacunes, de rectifier des dates, et in- sensiblement nous nous sommes trouvé en me- sure de raconter en détail sa vie tout entière.
Ce sont ces notes que nous offrons aujour- d'hui à nos chers Associés : en les parcou- rant, ils reconnaîtront aisément que nous n'a- vons pas eu la prétention d'écrire un livre, mais uniquement de leur présenter un por- trait fidèle de celui qu'ils sont habitués à chérir et à vénérer.
Pour nous, nous sommes heureux de rendi'e ce dernier hommage à la mémoire du prêtre bien-aimé qui a guidé nos premiers pas dans le sacerdoce, et dont les exemples ont toujours été pour nous la plus éloquente des leçons.
E. DE Valette.
NOTICE SUR LA VIE
M. DUFRICHE DES GENETTES
CHAPITRE I.
Charles-Éléonore Dufriche des Genettes naquit le 10 août 1778 à Alençon, où sa famille, Tune des plus anciennes de la ville, tenait depuis long- temps un rang considérable dans la magistrature. Des titres du treizième siècle montrent que dès lors les Dufriche étaient placés honorablement dans la cité. La branche dont il sort tire son surnom du domaine des Genettes, où l'on voit un AUeaume Dufriche établi au commencement du seizième siècle. Des rameaux de cette branche sont désignés par les noms des IMadeleines, de Valasé, localités voisines et dépendantes des Ge- nettes.
42 NOTICE SUR LA VIE
Les premières années de son enfance exigè- rent beaucoup de soins, mais son vigoureux tem- pérament ayant bientôt pris le dessus, il montra dès le plus bas âge de remarquables dispositions à rétude. A trois ans il savait lire, et, chose rare, il se rappelait la bonne vieille fille qui lui avait donné ces premières leçons, dont presque tou- jours nous recueillons les fruits pendant toute notre vie sans savoir à qui nous les devons.
Sa pieuse mère, dont il ne parlait jamais qu'a- vec l'accent du respect et de la tendresse les plus profonds, veillait avec sollicitude sur cette jeune âme dont Dieu lui avait confié le dépôt. Son amour éclairé y déposait les germes de cette piété qui ne s'est jamais démentie, depuis, et dont le développement résume toute la vie du saint prêtre. Rien que de bon, rien que de pur, rien que de vrai n'était offert à cette jeune ima- gination ardente dès ses premières lueurs et déjà passionnée pour tout ce qui la frappait. Heu- reusevigilance, qui préserva les premières. années du jeune Charles de ces impressions fausses ou mauvaises dont l'esprit conserve presque tou- jours la trace ineffaçable.
En 1783, M. des Ge nettes fut appelé à Séezen
DE M. DES GE-XETTES. 13
qualité de procureur du roi; sa famille l'y suivit, et son fils, envoyé dans une école de la ville, y profita si bien des leçons de Tinslituteur, que, dès l'âge de six ans, on le mit à l'étude du latin. Les premières notions lui en furent données par un prêtre, M. Prudhomme, que sa famille prit en qualité de précepteur, et telles étaient sa fa- cilité, sa prodigieuse mémoire, qu'à l'âge de sept ans il fut capable de suivre les cours de cinquième au collège de Séez. Entouré d'en- fants beaucoup plus âgés que lui, il montra tout d'abord sa supériorité. Placé le cinquième à la première composition, il se maintint toujours aux premiers rangs. Malgré ces succès, sa mère obtint qu'on ne le fît point passer, à la fin de l'année, dans la classe supérieure. Elle redoutait les dangers qui l'accueilleraient à la sortie de ses études si elles étaient trop promptement ter- minées, et désirait plier le plus longtemps pos- sible à la discipline des classes un caractère dont la fougue pouvait également conduire aux plus grandes vertus ou aux plus déplorables excès.
Ce n'était qu'en tremblant qu'elle le voyait vif, impétueux, turbulent, se passionner pour tout ce qui flattait la curieuse activité de son
14 NOTICE SUR LA VJE
esprit^ et se détacher bientôt des objets qui l'a- vaient enthousiasmé. « Plutôt qu'il meure! » s'écriait-elle dans la ferveur de sa pieuse ten- dresse alarmée. Ses inquiétudes, ses remon- trances faisaient une vive impression sur son fils, qui la chérissait; il prodiguait les plus belles et les plus sincères promesses, allait devant un petit autel, qu'il avait élevé dans la maison, ré- citer le Miserere dans les sentiments d'un pro- fond repentir, s'assurait qu'il était devenu un homme nouveau, chantait le Te Devra en actions de grâces de sa conversion, et recommençait le lendemain à aftliger sa bonne mère par ses mé- faits enfantins.
Au milieu de ces variations, une seule pensée ne variait pas chez lui, c'était celle de la vie sa- cerdotale, à laquelle dès lors il rêvait de se con- sacrer. Un jour, son confesseur, après des re- proches assez sévères, lui dit avec l'accent d'un découragement simulé peut-être :
— Que voulez-vous devenir?
— Ce que vous êtes, répartit l'enfant sans hé- siter.
— Vous?
— Oui, moi.
DE M. PES GE>'E1TES. 15
— Vous avez bien à faire pour songer à être prêtre : il faut d'abord vous corriger.
— Eh bien ! je me corrigerai.
Malgré cette promesse si résolument exprimée, quand il eut atteint Tépoque de la première communion, on ne Tadmit que six semaines après ses jeunes camarades, quoiqu'au caté- chisme il fût reconnu pour l'un des plus instruits : son excessive légèreté lui attira cette humilia- tion, dont il sut profiter, car après avoir avec ferveur reçu pour la première fois son Dieu, sa piété devint plus sérieuse et sa conduite plus régulière : il commença à lutter contre les en- traînements de son caractère.
Il avait alors douze ans, on était en 1790, l'As- semblée nationale discutait la constitution civile du clergé, qui devint loi du royaume, malgré V Exposition des principes, signée par trente évê- ques députés à l'Assemblée, avec l'adhésion de cent dix autres prélats. Ce nouveau code ecclé- siastique qui bouleversait l'Église en France ne pouvait que préoccuper vivement les popula- tions catholiques; le jeune des Genettes, plus attentif qu'on ne l'eût pu attendre d'un enfant de son âge aux conversations que les débats de
16 NOTICE SUR LA VIE
l'Assemblée faisaient naître parmi les magistrats qui fréquentaient la maison de son père, saisit avec une perspicacité rare les vices de cette con- stitution, fit part de ses doutes à ceux qui diri- geaient son instruction religieuse, et s'affermit d'autant plus dans les bons principes, qu'il les voyait attaqués avec plus de violence.
La persécution, qui ne tarda pas à sévir contre les prêtres insermentés, rendit plus vif le désir qu'il avait d'appartenir au clergé, et redoubla son aversion pour la profession à laquelle sem- blaient le destiner les traditions de sa famille; car il ne pouvait oublier que des avocats jansé- nistes avaient été les principaux auteurs de la constitution civile.
Il est à remarquer qu'à cette époque aussi se manifestèrent les sentiments d'ardent royalisme qui l'animèrent pendant toute sa carrière. La ré- volution lui faisait horreur, même avant qu'elle se fut souillée des crimes qui la rendirent odieuse à tout ce qui portait un cœur honnête, et quand encore bien des hommes aux intentions droites saluaient, dans les événements de 89, l'aurore d'une ère de bonheur pour la France et l'huma- nité. Telles étaient les opinions qu'il entendait
DE M. D£S GENETTES. 17
sans doute défendre dans la maison paternelle, où, comme dans la plupart des familles apparte- nant à la robe, on avait accueilli les opinions nou- velles. Dans un milieu qui devait naturellement influer sur ses dispositions dans un âge aussi tendre, il réagit contre ce qui l'entourait, et son amour pour l'Église le rendit l'ennemi de ceux qui la persécutaient. C'était pour lui un bonheur quand il rencontrait un prêtre jureur, de faire ostensiblement le signe de la croix, comme pour exorciser le malin esprit.
En 1791, M. des Genetles fut nommé juge, puis bientôt après président du tribunal de Dreux, où était réunie la famille de sa femme. Charles fut alors envoyé au collège de Chartres, où on lui fit redoubler la classe de seconde. Ses succès scolaires furent les mêmes qu'à Séez, et sa conduite, désormais régulière, prit un carac- tère de résolution inébranlable, qui témoignait quel homme il devait être un jour.
On avait encore l'usage, au collège, d'envoyer les élèves à confesse. On le mène donc à son tour auprès de M. Vitalis \ prêtre assermenté comme
* Homme de mœurs décentes, qui depuis reconnut son erreur, la rétracta et mourut à Paris, curé de Saint-Eustache.
1.
18 NOTICE SUR LA VIE
tous ceux à qui il était permis d'exercer les fonc- tions du ministère, et vicaire-général de l'é- vèque intrus. Il se mit à genoux pour obéir à la règle et resta muet.
— Dites votre Conflteor, mon auii.
— Je ne dis pas de Confiteor.
— Pourquoi?
— Parce que je suis amené ici de force ; je ne me confesse pas aux prêtres assermentés; vous n'êtes pas catholique.
— Etes-vous donc en état de décider des questions pareilles? Croyez-vous en savoir plus que moi, que mes confrères, que M. Bonnet, notre évêque? Allons, confessez-vous.
— Je vous dis que vous n'avez pas de pou- voirs, que M. Bonnet, que vous appelez votre évêque i}C Eure-et-Loir, ne peut vous en donner, parce qu'il n'en a pas, qu'il n'est pas plusévêque que moi, qu'il est un intrus.
— Mais, jeune homme, vous manquez de res- pect aux autorités établies.
— Au contraire, monsieur, je vénère l'auto- rité, la seule autorité qui existe dans l'Église de Jésus-Christ, et si je vous tiens ce langage qui parait vous blesser, c'est que notre Saint-Père,
DE M. DES GENETTES. \\)
dans son bref du 13 avril, ordonne aux ecclé- siastiques qui ont prêté le serment, de le rétrac- ter, et déclare les élections des nouveaux évè- ques illégitimes et sacrilèges, et leurs consécra- tions criminelles, illicites et sacrilèges.
— Où en sommes-nous si des écoliers vien- nent citer des brefs? Vous avez donc des rela- tions avec la cour de Rome ?
— Vous en avez bien, vous, avec celle de Satan 1
La discussion en resta là. Charles avait pu la soutenir parce que, les jours de composition, il profitait du temps qui lui était accordé pour aller dans une petite rue de la ville trouver un prêtre qui demeurait caché avec un ancien chanoine, et de qui, après s'être confessé, il re- cevait les lumières qui devaient le guider dans ces temps dithciles.
Quant à ses opinions politiques, il les mani- festa un jour avec une audace imprudente et qui pouvait compromettre sa famille. C'était en 1793, l'attentat du 21 janvier l'avait tellement impres- sionné que sa santé en avait soulïert sans que, cependant, il interrompît ses études. An-ive l'é- poque de la distribution des prix, on la fait dans
20 NOTICE SLR LA VIE
l'ancienne église des Cordelien, convertie alors en musée des objets d'art, c'est Jean Bon Saint- André qui préside. Charles des Genettes est ap- pelé pour recevoir un prix de version, le prési- dent veut l'embrasser selon l'usage , mais lui, s'arrête sur le bord de l'estrade, prend son livre d'une main, sa couronne de l'autre, salue et se retire. Un mouvement général se fait sentir dans l'auditoire, les élèves éclatent en applau- dissements. Jean Bon se contente de sourire d'un air dédaigneux et de ne pas se déranger quand des Genettes vient recevoir un autre prix. Ses études étant alors terminées, il rentra dans sa famille, où il apporta un caractère plein de gaité et d'entrain, qui répandit la joie sur un intérieur d'ailleurs assez triste. Son père, homme d'une intégrité à toute épreuve, d'une grande instruction, avait avec chagrin vu se dissiper les illusions qui l'avaient bercé au début de la ré- volution. Les coups successifs qu'elle avait frap- pés lui avaient ouvert les yeux, il mesurait avec douleur l'abîme où tout s'engloutissait et n'in- terrogeait l'avenir qu'en tremblant ; il se sentait mal à l'aise dans une société nouvelle à laquelle il avait prêté le concours de ses opinions et de
DE M. DES GENETTES. 21
son influence, et à qui il était devenu suspect parce qu'il ne la suivait pas dans ses criminels entraînements.
Après rattcntatdu21 janvier, le préfet d'Eure- et-Loir ayant exigé des magistrats un acte d'adhé- sion à la sentence de la Convention, M. des Genettes n'hésita pas à résigner ses fonctions plutôt que de trahir sa conscience en approuvant ce qu'il considérait comme un crime, et cette dé- termination attira sur lui les colères du parti exalté.
Madame des Genettes souffrait de fout ce qui se passait; strictement renfermée dans l'accom- plissement de ses devoirs, et sans se mêler aux préoccupations de la politique, elle demandait à la prière la paix que le monde ne permettait plus de goûter. Pour ne pas compromettre sa fa- mille, et peut-être aussi parce qu'elle ne pouvait renoncer à ses habitudes de piété, elle entendait la messe' des prêtres constitutionnels et y con- duisait son fils, qui n'assistait qu'avec une répu- gnance pleine d'indignation à ces cérémonies faites par des ministres prévaricateurs. Mais s'unissant de cœur aux prêtres catholiques il ca- chait autant qu'il le pouvait les sentiments qui
22 NOTICE SUR LA VIE
l'agitaient;, pour ne pas affliger davantage une mère si tendre, et ses prévenances pour elle, ses soins attentifs pour sa jeune sœur, sa vivacité pleine de galté rendaient la vie plus douce à toute la famille.
Cette lueur de bonheur s'éclipsa bientôt. M. des Genettes fut mis en accusation, en mars ou avril 179 i, on vint pour l'arrêter. 11 était alors absent pour un petit voyage. A l'heure du repas, la servante accourt d'un air épouvanté : « La rue est pleine de bonnets rouges. » Charles s'élance vers la fenêtre. — Mets-toi à table et ne dis mot, lui dit sa mère; puis avec calme elle ordonne qu'on ouvre la porte. Trois commissaires du salut public, suivis de gens armés et de membres du Comité de Dreux, envahissent la maison, et ne trouvant pas le chef de la famille, déclarent que madame des Genettes servira de caution. « Arrê- tez-moi, si vous croyez la liberté d'une femme dangereuse à la république, mais laissez libres ces enfants que la prison tuerait. » — Les com- missaires , touchés de sa fermeté , permirent qu'elle restât dans sa maison, surveillée par un gardien à leur nomination. La visite ne s'acheva pas sans qu'on eût fait une recherche exactedans
DE M, HES GENETTES. Ûli
k's papiers, lettres, etc. Tout fut examiné et n'otîrit aucune charge contre M. des Genettes, malgré la perspicacité d'un des commissaires, épicier à Dreux, qui avisant une copie manus- crite des maximes de Machiavel, s'écria : <( Nous tenons notre affaire !... Qui est ce Machiavel? Il est bien sûr dans la Vendée. »
Cinq semaines après, M. des Genettes étant ar- rivé, fut mis en prison malgré le résultat favo- rable de la visite domiciliaire. Alors commença, pour sa femme et ses enfants, une existence pleine d'angoisses et de dévouement. Les com- missaires du salut public avaient misle séquestre sur tous les biens, ne laissant à madame des Ge- nettes que la valeur d'un assignat de 50 francs par tête et un couvert d'argent pour chacun. Sept cent mille francs en assignats, prix de terres provenant de son grand-père, furent ainsi perdus. Réduite à une si extrême nécessité, il fallut con- gédier tous les domestiques, et il ne resta dans la maison qu'une servante qui refusa absolument de partir. « Ils n'auront pas 1 honneur, disait- elle, de m'avoir fait abandonner ma bonne maî- tresse. »
Madame des Genettes, insistant, lui disait :
24 NOTICE SUR LA VIE
« Mais, ma pauvre Renote, nous monterons peut-être sur l'échafaud. » — « Eh bien^ j'y monterai avec vous. * »
La disette sévissait alors, et pour trouver des vivres, Charles parcourait les fermes des envi- rons avec un assignat de vingt sous, qu'il rap- portait toujours intact parce que les fermiers, qui connaissaient sa famille, refusaient de rece- voir le paiement des denrées qu'ils pouvaient fournir. Ce qu'il y avait de meilleur était mis à part, pouren préparer un petitrepasqu'on portait à la prison pour M. des Genettes, et auquel un charcutier du voisinage se faisait honneur d'a- jouter quelques menus produits de sa boutique. C'était fête dans la famille quand la mère et les enfants pouvaient aller ensemble accomplir ce devoir envers le prisonnier,^uquelon cacha tou- jours l'état de détresse où vivait sa famille. Ma- dame des Genettes avait cependant des parents restés très-riches, qui connaissaient sa pénible situation, sans venir à son aide. Jamais une plainte, jamais un murmure ne sortirent de sa
' Cette bonne fille quilta depuis son pays pour venir soi- gner sa sœur niakule à Paris, où M. îles Genettes l'aida à subsister.
DE M. DES GENETTES. 25
bouche : elle encourageait au contraire ses en- fants à adorer et à bénir la sainte volonté de Dieu, et à trouver une consolation dans les exer- cices de piété auxquels elle ne manquait jamais. Les dimanches, la petite famille se réunissait : on lisait la messe, les vêpres, on faisait une lec- ture pieuse, on priait pour la France et on se séparait, animés d'un courage nouveau pour sup- porter tout ce qu'il plairait à la Providence d'en- voye'r d'épreuves.
Une de ses sœurs, chez qui on n'observait pas les lois de l'Église, l'invitait quelquefois à dîner. Pendant le carêm.e elle refusait ce léger adou- cissement à ses privations quotidiennes. Son fils imita cet exemple. Les jours d'abstinence furent toujours pour lui des jours d'austérité, et ce ne fut que dans ses dernières années qu'il consen- tit à faire usage des dispenses accordées pour la sainte quarantaine.
CHAPITRE II.
Sa jeunesse.
Un rôle tout passif ne convenait pas au carac- tère bouillant et hardi du jeune Charles. Madame des Genettes s'épuisait en sollicitations inutiles auprès des autorités de la province et de Paris. Cent cinquante pères de famille étaient détenus. La ville murmurait. Charles profite d'une absence de sa mère et, le 4 août 179-i, il se rend auclub, où il fait entendre une énergique réclamation; on l'appelle à la tribune : « Citoyens, s'écrie-t-il avec l'éloquence d'un rhétoricien récemment sorti du collège, et plein des réminiscences du Forum et de l'Agora, citoyens, la ville de Dreux
.NOTICE SUR LA VIE I>E M. l'ES (.E.NETTES. il'
gémit et vous, ses enfants, vous pourriez rester sourds aux accents de sa voix plaintive ! La lais- serez-vous opprimer par une faction étrangère à vos murs ? N'êtes-vous pas le peuple souverain ? Et on ose tenir captifs ceux que vous aimiez à voir au milieu de vous et à appeler vos frères! ! Levez-vous^ il est temps, ne laissez pas la honte d'une coupable soumission souiller vos fronts nobles et libres, etc., etc. » Son ardeur gagne l'auditoire, il reçoit Faccolade du président, on nomme, séance tenante, une commission d'une vingtaine de membres pour ouvrir les prisons. Le concierge, un ^I. Laforet, s'y refuse, il veut attendre un décret de la Convention, mais l'im- pulsion était donnée, on menace d'enfoncer les portes de la prison, il faut céder. Les détenus sont mis en liberté, on renferme à leur place les membres du comité de surveillance, desti- tués de par le peuple, et M. Laforet voit se fermer sur lui les verroux qu'il avaitsi souvent tirés pour les autres.
Le bruit que fit cette audacieuse entreprise n'intimida point l'ardent jeune homme qui l'avait provoquée. Pendant tout l'hiver de 1794 à 1795, il ne cessa de visiter et de secourir les prêtres
28 NOTICE SUR LA VIE
cachés dans la ville de Dreux. Il connaissait les bons catholiques et leur ménageait les moyens de communiquer avec ces ecclésiastiques, qui s'exposaient aux plus grands dangers pour sou- tenir les âmes fidèles. Tous les soirs il allait à la veillée des femmes dans les faubourgs des Caves et de Saint-Thibaud du Valgelé, et leur faisait lecture d'un livre dirigé contre les constitution- nels. Ses commentaires étaient écoutés avec fa- veur, et telle fut l'influence que le jeune apôtre acquit sur ces bonnes femmes, qu'il leur per- suada de reprendre possession de leurs églises. Il organisa sa manifestation, à laquelle il ne vou- lut qu'aucun homme prît part, et le 24 mars, à deux heures après-midi, trois cents femmes sont rassemblées sur la place du Paradis. Il se met à leur tête et les conduit au district: quatre d'entre elles entrent avec lui et sont admises auprès de l'administration dudistrict, que présidait un sieur Dufresne, Des Genettes lui dit fièrement qu'il vient au nom du peuple de Dreux demander les clés des églises; il lui représente que la démarche est toute pacifique, qu'il n'a avec lui que des femmes contre lesquelles on ne pourrait sans in- famie employer la force, et qui sont décidées à
DE M. DES GENETTES. 29
user des droits de la liberté de conscience. Du- fresne cède, sans trop de regret peut-être, et re- met les clés de Saint-Jean et de Saint-Pierre. La foule s'y porte avec enthousiasme, mais à Saint- Pierre elle se trouve arrêtée par une muraille qu'on avait élevée à l'entour du chœur avec des débris de statues; un mouvement d'hésitation se manifeste, des Genettes s'en aperçoit, il fait ap- porter un levier, porte les premiers coups et bientôt la muraille est abattue, les emblèmes républicains arrachés, traînés dans la boue, brûlés. Le rriercredi saint, des prêtres catholiques vont y dire la messe. Pendant toute la semaine et le jour de Pâques on otficie publiquement, et ce n'est que vers l'Ascension qu'arrivent cin- quante dragons et un commissaire chargé de re- chercher les auteurs d'une infraction si hardie aux lois de la république. Les auloritésde Dreux ne voulaient pas attirer sur la ville un châtiment qui eût frappé surtout la classe populaire, alors très-sympathique à la cause religieuse; on ne conduisit l'enquête qu'avec mollesse; le juge de paix prêcha l'indulgence, excusa des Genettes en disant que c'était un enfant, empêcha qu'on n'arrêtât personne et tout fut terminé par la fer-
3© NOTICE SUR LA VIE
meture des églises. Les vases sacrés, toutefois, furent, par les soins de Charles, soustraits à la profanation ; il put faire cacher un ciboire et trois calices, avec l'un desquels, devenu prêtre, il eut en 1819 la consolation de célébrer les saints mystères.
L'heureux dénoûment de ces deux atfaires n'empêchait pas M. et M"* des Genettes d'être ex- trêmement inquiets; ils ne doutaient pas que leur fils ne profitât de la première occasion, si même il ne la faisait naître, pour commettre encore quelque grave imprudence. Le séjour de Dreux, où rien ne les retenait plus, leur était donc à charge, et ils se retirèrent dans un petit bien dont ils avaient hérité, La Héberderie, si- tuée au bourg de Saint-Lomer, canton de Cour- tomer. C'était à peu près alors tout ce qui leur restait d'une belle fortune, le père ayant été mis sur la liste des émigrés d'où il n'avait pas en- core pu obtenir sa radiation.
Dans un pays où plusieurs fermes apparte- naient à ses parents, quoiqu'ils n'en touchas- sent pas les revenus, Charles se trouvait dans la situation la plus favorable à son zèle de prosé- lytisnu', 11 n'avait rien à faire, et tout en se pro-
DE M. DES GENETTES. 31
menant de métairie en métairie, il se conciliait l'affection des paysans, et enseignait le caté- chisme à leurs enfants. Bientôt il agrandit son œuvre, et ouvrit une école pour les garçons, aux plus intelligents desquels il fit même com- mencer le latin : six ou sept d'entre eux pu- rent continuer plus tard ces études ébauchées, et parvinrent au sacerdoce.
Dépourvus alors d'écoles, les parents accueil- lirent avec joie et reconnaissance le dévouement du jeune homme qui venait consacrer son temps et ses soins à l'éducation gratuite de leurs en- fants. Mais les mères de famille ne tardèrent pas à réclamer contre la préférence accordée aux garçons. Si M. des Genettes ne pouvait pas, on en convenait, se faire l'instituteur des petites filles, pourquoi du moins ne les admettait-il pas aux leçons de catéchisme? N'était-il pas déplo- rable de les laisser dans l'ignorance de leur reli- gion, tandis que leurs frères étaient avec tant de zèle instruits de leurs devoirs? Quand plusieurs familles eurent parlé dans ce sens à Charles, il entrevit l'occasion de faire un très-grand bien, et, après avoir consulté sa mère, il se décida à faire les démarches nécessaires auprès des autorités.
32 NOTICE SUR Ll VIE
Se présentant d'abord à la municipalité, il leur représenta qu'aux termes de la loi de Vendé- miaire an VU, il réclamait le droit d'exercer li- brement son culte ; que, n'étant pas prêtre, les décrets de la Convention ne l'atteignaient en au- cune façon, et que rien ne s'opposait à ce qu'il se réunît à d'autres citoyens. On ne fit pas de difficultés pour lui accorder l'autorisation qu'il demandait. Il fallait un local ; il prit à loyer l'église de Saint-Lomer, devenue propriété na- tionale, et en eut la libre jouissance moyennant cent sous par an.
Une fois en règle avec le pouvoir civil , il vou- lut avoir l'agrément de l'autorité ecclésiastique. Il se rendit auprès de M. Lefrançois, chanoine de Séez, ancien principal du collège où il avait été écolier, et qui, caché dans le diocèse, l'admi- nistrait en qualité de vicaire général. Cet ecclé- siastique le connaissait déjà. Il savait qu'en re- lation avec beaucoup de prêtres qui, comme lui- même, exerçaient au péril de leur vie le saint ministère, il leur rendait les plus grands services et descendait jusqu'aux plus minimes détails pour leur procurer un peu de bien-êlre dans les profondes retraites où ils abritaient leurs têtes.
DE M. DKS GENETTES. 33
Pourquoi hésiteiais-je à raconter ce que faisait ce noble jeune homme? Il s'en allait quêtant pour ses prêtres, et quand des fermiers lui eu- rent donné de la vieille laine, il apprit de sa mère et de sa sœur à tenir les aiguilles, et les aida à tricoter des bas pour les confesseurs de la foi. Le vicaire général Taccueillit donc avec faveur, examina ses plans, et l'autorisa à faire dan,s l'église de Saint- Lomer un catéchisme qui put avoir de l'attrait pour les habitants du voisinage. On devait y chanter des cantiques, des psaumes, y lire l'Évangile, auquel on join- drait une explication prise dans un ouvrage ap- prouvé. M. Lefrançois ne jugeait pas prudent de permettre un commentaire verbal à un si jeune homme, plein de zèle sans doute et de piété, mais à qui manquaient les connaissances théo- logiques sans lesquelles il n'est guère possible d'éviter l'erreur. Muni de ces instructions , des Genettes commença son œuvre.
Tl ouvre son église le dimanche, et les enfants y viennent en foule, accompagnés de leurs pa- rents qui n'avaient vu qu'avec peine supprimer les cérémonies du culte catholique. Bientôt des paroisses voisines on vint à Saint-Lorner, et ce
2
34 NOTICE SUR LA VIE
fut un bonheur pour tout le canton. En peu de temps, la réunion du dimanche devint un véri- table office paroissial. Les paysans, chantres au- trefois dans leur église, se réinstallèrent avec joie au lutrin. On chantait la grand'messe tout entière, et après le Sanctus, toute l'assemblée s'agenouillait comme si un prêtre eût été à l'au- tel , et priait quelques moments en silence. Avant ce simulacre de messe on chantait le pseaume Deus , venerunt gentes in hœreditatem tiiam, et on terminait par le psaume Super flu- rnina Babylonis. Le soir on revenait régulière- ment pour les vêpres.
Pour suppléer à ce que son âge ne lui permet- tait pas même d'entreprendre, il établit une réunion de femmes que sa mère présidait chez elle. On travaillait, on priait ensemble, on lisait des livres de morale pratique , auxquels ma- dame des Genettes ajoutait des commentaires fa- miliers auxquels ses vertus, ses malheurs et son ineffable bonté donnaient une autorité extraor- dinaire. De temps à autre, quand les circon- stances étaient favorables , des prêtres catho- liques venaient y confesser. C'est ainsi que quatre-vingts personnes purent se disposera
DE M. DES GENETTE3. 3j
s'approcher de la sainte Table, avec une tren- taine de garçons et de filles que Charles avait préparés à la première communion. Plus de trois cents fidèles assistaient à cette cérémo- nie qui eut lieu dans la nuit de Noël. Quatre ou cinq fois ces communions purent se renou- veler.
En revenant sur cette époque de sa vie , M. des Genettes s'étonnait de n'avoir pas été ar- rêté, car si la lettre de la loi était pour lui , puis- qu'il n'était pas prêtre et exerçait librement son culte, il était en opposition flagrante avec l'es- prit anticatholique qui dominait alors, et encou- rait les pénalités les plus graves par ses rapports avec les prêtres proscrits. 11 ne pouvait que re- connaître une disposition particulière de la Pro- vidence dans la liberté qui lui fut laissée durant plus de trois ans de catéchiser publiquement, de faire célébrer les saints mystères, de visiter les malades et de conduire des prêtres à leur chevet. Les populations, il est vrai , étaient ex- cellentes, sa famille était aimée, et lui-même avait, par son active charité, conquis rafTeclion de tous. Il tenait les élections dans sa main, et, grâce à son influence , les maires et adjoints
36 >;oTiCE sn\ la vie
étaient choisis parmi les hommes les mienx pensants.
Une fois cependant il put croire qu'il allait être mis en prison^ mais son énergie ne l'abandonna pas et le tira de ce danger. Il avait été dénoncé au préfet comme faisant le prêtre à Saint-Lomer. Ordre au maire défaire un rapport. DesGenettes, averti de ce qui se passait, se rend à la préfec- ture, où le secrétaire général, son ami, le met au fait des dénonciations, et le fait parvenir auprès du préfet. Ce fonctionnaire le reçoit avec quel- que vivacité, lui reproche de troubler l'ordre et de désobéir aux lois.
« Mais non, monsieur le préfet, au contraire, j'exerce mon culte, et c'est mon droit.
— On vous accuse d'être chouan.
— Je reste très-tranquille chez moi.
— Tout cela n.est pas clair, et si vous ne re- noncez pas à ces menées, je vous ferai arrêter.
— J'enseigne aux enfants à aimer leur Dieu, à respecter leurs parents, à ne faire de tort ni de mal à personne, à vivre dans l'innocence et la pureté; si vous me le défendez, soit, je ces- serai, mais je vous déclare que tout le monde saura que c'est par votre ordre.
M M. DES GEIVETTES. 37
— Tout cela est bien; faites-le, mais ne faites pas davantage. Vous montez les têtes.
— Je ne puis faire Tun sans l'autre; ainsi je leur dirai que vous ne voulez pas que leurs en- fants reçoivent une instruction morale.»
Le préfet, après un instant de silence, lui dit : «Continuez; nous verrons.»
De retour à Saint - Lomer , l'ardent jeune homme ne manqua pas de dire en plein caté- chisme et à l'office qu'il avait été dénoncé, qu'il avait la loi pour lui, et qu'il continuerait. En effet, il continua sans être inquiété, mais soumis à une jalouse surveillance.
A suivre le détail de ses travaux vraiment apostoliques, soutenus pendant plusieurs années avec une ardeur pleine de persévérance et de piété, nous serions tentés d'oublier qu'il s'agit d'un jeune homme âgé de vingt ans à peine, si M. des Genettes le père ne nous le rappelait en enjoignant à son fils d'aller reprendre ses études. On était en 1799, les temps étaient devenus meil- leurs, il fallait songer à s'ouvrir une carrière, et Charles fut envoyé à Alençon, dans la famille de son oncle (le père du célèbre médecin des ar- mées), pour faire son cours de mathématiques.
38 NOTICE PUR LA YIE
Soit que les sciences exactes eussent peu d'at- trait pour lui, soit plutôt que sa vocation l'en- traînât irrésistiblement, il s'occupa très-peu des études pour lesquelles il s'était rendu à Alençon, et rechercha au contraire avec ardeur toutes les occasions de se rendre utile aux catholiques, nombreux dans la ville. Dans plusieurs maisons, des chambres avaient été converties en cha- pelles, où les prêtres venaient en secret célébrer la sainte messe et administrer les sacrements. Charles eut bientôt la confiance de tous, et dé- ploya tant d'activité et de maturité tout à la fois, que beaucoup de ces fervents chrétiens le croyaient prêtre malgré son jeune âge. Ses dé- marches furent épiées par la municipalité, mais il eut le bonheur de ne compromettre personne.
Il passa ainsi dix-huit h vingt mois, très-lié avec les jeunes gens de son âge, qui, tout en ne partageant pas sa piété, et se permettant même de l'en railler quelquefois, l'aimaient à cause de son caractère ouvert et bienveillant. Plus d'une fois son arrivée dans un groupe fit cesser quel- que conversation trop libre. «Voilà desGcnettes, taisons nous; cela lui ferait de la peine. » On re- courait volontiers h ses conseils, et quelques-uns
DE M. DES GENETTES. 39
finirent par se laisser conduire aux messes qu'on célébrait en cachette.
Le peu de fruit qu'il retirait de sa résidence à Alençon le fit rappeler à Courtomer, où il reprit ses chers exercices avec tant de zèle qu'on l'ap- pelait dans le pays « le curé de Saint-Lomer. » Les fréquents rapports qu'il eut à cette époque avec les prêtres, qui passaient quelquefois jus- qu'à dix jours cachés chez sa mère, où ils disaient la messe et confessaient, lui donnèrent des idées plus précises sur le sacerdoce auquel il aspirait, et le rendirent plus propre encore aux œuvres par lesquelles il préludait à son futur ministère.
Un d'entre eux surtout lui rendit un signalé service, en l'éclairant sur les marques d'une vé- ritable vocation ; c'était M. Desprez, ancien curé de Trémont, canton de Courtomcr, docteur en théologie, très-versé dans l'art délicat de la con- duite des âmes, et à qui son expérience permit aisément de sonder jusque dans ses replis les plus profonds le cœur du loyal jeune homme, dont les sentiments se manifestaient par les œu- vres plus encore que par les paroles. Il se plut à lui dévoiler, dans toute leur effrayante étendue, les devoirs du prêtre, multiplia les objections,
4^0 NOTICE SUR LA VIE
les difficultés, et, après un mùr examen, il lui déclara que Dieu l'appelant à son service, il fal- lait tout d'abord employer ses loisirs à acquérir la science nécessaire, et s'offrit à guider ses pre- miers pas dans le champ des études théologi- ques. Le jeune des Genettes comprit l'importance de ce conseil, et avec le secours de son savant et vénérable ami, fit de rapides progrès. Tout le temps qu'il pouvait dérober à ses œuvres de zèle et aux soins qu'exigeait la correspondance entre les prêtres cachés dont il était un des agents les plus actifs, il le passait à méditer sur les livres de théologie qu'il s'était procurés, ou a faire dans les bois de longues promenades, pen- dant lesquelles le chanoine lui développait les questions qu'il avait étudiées, mettait de l'ordre et de la méthode dans ses connaissances, et lui donnait l'habitude des vues d'ensemble sans lesquelles tout ce que l'esprit peut amasser reste comme isolé et stérile.
Cette vie, où l'étude se mêlait si heureuse- ment à l'action, plaisait infiniment à Charles et il l'eût volontiers continuée; mais son père n'avait pas la pensée de faire de lui un prêtre, et n'ayant pu vaincre sa répugnance pour la
riE M. DES GEXETTES. 41
robe, il obtint de lui qu'il étudierait la méde- cine.
Ce n'était pas sans une arrière pensée que Charles prenait ce parti. Une fois docteur, il au- rait un titre légal, il pourrait parcourir le pays sans éveiller les soupçons. Qui empêcherait alors qu'il reçût Tordination de l'un des évêques légi- times cachés en France, ou même qu'il allât solliciter cette faveur à l'étranger ? La Héber- derie deviendrait le centre de ses opérations, et les visites du médecin aux malades seraient en réalité des courses apostoliques. La perspective des pontons de Rochefort ou des plages meur- trières de Synamary donnait plus de charme encore à ces plans d'avenir : pour cette âme ardente les difficultés étaient un aiguillon, les dangers un attrait.
Il s'appliquait donc sérieusement à l'étude de la médecine, quand, six mois avant qu'il n'eût atteint l'âge de la conscription, sa poitrine, jus- qu'alors excellente, parut gravement atteinte. Il éprouvait de vives et fréquentes douleurs, per- dait ses forces, maigrissait, et bientôt des cra- chements de sang presque continuels rendirent son état alarmant. Il devint si faible, que lecon-
2.
4S NOTICE SUR LA VIE
seil de révision le jugea pour le moment inca- pable du service militaire. Rappelé jusqu'à sept fois, il fut toujours provisoirement réformé. Ses meilleurs amis le regardaient comme perdu. Un jour qu'il dinaît chez le docteur Bougon dont le fils étudiait la médecine avec lui, il crut saisir dans les yeux des convives une expression de pitié compatissante, a Vous êtes tous mes amis, dit-il, dites-moi ce que vous pensez de moi, » et comme personne ne lui voulait répondre : « parlez, ajouta-t-il, je suis chrétien, vous le sa- vez bien, la vérité ne me fait pas peur.
— Eh bien, répondit alors Bougon, puisque tu veux savoir ton fait, avant la floraison des pois, tu ne seras plus là.
— Oui-dà, mes chers amis? Voilà l'oracle de la science? Eh bien, je vous quitte, et après la floraison des pois je reviendrai, et je serai guéri.»
Il partit en effet, alla près de sa mère, à qui, sans lui communiquer la décision des docteurs d'Alençon, il dit que son mauvais état de santé exigeait du repos et l'air de la campagne ; que la médecine ne l'ayant pas guéri, il voulait essayer si un changement absolu de régime n'aurait pas
DE M. DES GENETTES. A3
un meilleur résultat. M»* des Genettes consen- tit à ce qui pouvait sembler un caprice de ma- lade. Elle le fit nourrir presque exclusivement de laitage et de poisson, et malgré sa faiblesse extrême lui permit de faire le catéchisme aux bergers qui n'avaient point fait leur première communion.
Malgré le bonheur qu'il éprouvait à repren- dre ses occupations chéries, malgré les soins de sa bonne mère il n'éprouvait pas d'amélioration appréciable, quand il fut rappelé à Alençon. Deux officiers de santé venaient d'y arriver, en- voyés par le directoire pour le faire partir. Il n'était pas difficile de reconnaître l'effet du mauvais